D&D4 : l'édition qu'on ne méritait pas, mais qu'on a eu quand même

Mon premier contact avec le jeu de rôle s'est fait dans la cour de récré de mon collège. J'étais en 6e, vers 2005/2006 et j'ai vu des gens plus âgés réunis autour d'un bouquin en train de lancer des dés. Ils créaient des personnages pour D&D3.5. Super intrigué, je les ai observé toute la récré, regardant par dessus leur épaule, et ils ont fini par me laisser faire le tirage aléatoire d'un personnage (j'ai fini avec un demi-orque chéplukoi). Je n'ai jamais joué avec eux - après tout, je ne les connaissais pas, mais ça m'a marqué.

Le vendeur de la boutique de jeu de rôle de mon patelin n'était pas un type très sympathique (il était surnommé le Gobelin) et lorsque j'y suis allé avec mon père pour me faire offrir à Noël des bouquins de jdr, il a plus ou moins dit que c'était un loisir plutôt réservé aux 14 ans et plus. Evidemment, c'est loin d'être vrai, mais à l'époque l'argument d'autorité à pris - je n'avais personne dans mon entourage qui jouait.

J'ai eu 14 ans en juin 2008, et D&D4 est sorti en mai de la même année. Y voyant un incroyable signe du destin, c'est donc le triptyque D&D4 que j'ai eu comme cadeau pour mon anniversaire. J'ai assez rapidement réuni des copains de collège, reproduit sur un carton épais la carte du mini-donjon fourni dans le Guide du Maître et c'est ainsi que je suis tombé dans la marmite.

J'ai joué plusieurs années à D&D4, suivant la gamme, écrivant des scénarios pour le fanzine Petit Dragon, initiant au jeu la plupart de mes amis, avant de petit à petit commencer à m'intéresser à d'autres jeux. Et là, ce fut le drame.

Partout, des gens incendiaient sur les forums cette 4e édition, l'accusant de toutes sortes de maux. Le traumatisme de ces personnes a vraiment du être grave, car plus de dix ans après, on trouve encore régulièrement sur les réseaux sociaux des attaques gratuites envers "l'édition qui n'aurait pas du être". Avec le temps j'ai appris à ne plus écouter les cris d'orfraie de la "vieille garde" qui s'offusque de tout ce qui est nouveau : contrat social, carte X, etc. Mais à l'époque, ça m'avait fait gambergé suffisamment pour ranger sur une étagère mes bouquins et aller, enfin, découvrir la véritable expérience du jeu de rôle.

Je ne dis pas qu'aller voir ailleurs a été une mauvaise décision : au contraire, comme un dragon, j'ai amassé quantité de vieux jeux (les classiques-que-si-on-a-pas-joué-on-sait-pas-vraiment-ce-qu'est-le-jdr) avant de passer à la sphère indépendante et puis retoucher à D&D via la 5e. J'ai découvert plein de façons de jouer, développé ma pratique, commencé à m'intéresser au game design, etc.

Mais, finalement, est-ce que la 4e édition était vraiment si mauvaise ? La réponse est évidemment non, et je ne suis pas le seul à faire ce constat; il y a quelques jours sur Twitter un fil a été lancé sur le sujet et m'a donné l'idée de ce billet (dont vous venez juste de terminer l'introduction). Je précise tout de suite que je suis allé piocher les réponses et réflexions qui m'ont intéressé dans le débat, et je vous les restitue en les retravaillant selon mon propre prisme.

Dans la suite du billet, je vais donc revenir sur pas mal d'aspects de D&D4 qui étaient vraiment intéressants, et qui sont, pour la plupart, passés à la trappe dans D&D5.1

Philosophie de la 4e

D&D4 a souvent été attaquée parce que "c'est pas vraiment D&D". Mais, d'un autre côté, qu'est-ce qui est D&D, et qu'est-ce qui n'est pas D&D ? La 4e a décidé que son angle d'attaque serait "des aventuriers dépareillés explorent des environnements hostiles, combattent des machins hostiles, ramènent les trésors à la maison et deviennent des héros en faisant cela - ou alors, ils meurent en essayant".

"Oui, mais, moi je veux faire du roleplay, et D&D4 ne me le permet pas !" 

En réalité, aucune édition de D&D n'est vraiment taillée pour cela. On peut jouer à D&D sans roleplay. Les mécaniques ne coinceront pas. En revanche, comme D&D4 a décidé de rendre les combats intéressants (on y reviendra), ils prennent plus de temps, et donc, oui, on a moins le temps de faire du roleplay.

En définitive, est-ce que D&D4 c'est vraiment D&D ? Je dirais que oui. Simplement, au lieu de prétendre qu'on pouvait tout faire, cette édition a choisi de s'intéresser surtout à ce qui fait le sel de D&D et de fournir un vrai gameplay efficace pour y jouer.

Un univers intrinsèquement haut en couleurs

Si le setting officiel de la 5e sont les Royaumes Oubliés, la 4e vient sans univers préétabli et propose simplement une petite région à explorer pour commencer en douceur (le Val de Nentir et sa principale localité, Cascadonne). Néanmoins, il y a des parti-pris qui transparaissent à tous les niveaux du jeu, du fluff aux mécaniques de jeu.

Dans D&D4, l'univers est profondément magique. Il y en a partout. 

D'abord, parce qu'en terme d'équilibre, les personnages doivent être bardés d'objets magiques pour compenser le fait que les monstres gagnent en puissance beaucoup plus vite qu'eux - pour le coup, la bounded accuracy de D&D5 n'est pas une mauvaise itération pour empêcher cet effet. Au-delà de la mécanique, ces objets racontent des histoires. Si dans le Monde Matériel, la meilleure armure ordinaire sera peut-être en acier; mais une armure d'écailles draconiques, ça en jette, avouez.

Ensuite, en montant de niveau, il est attendu que la portée des actions des personnages gagne en intensité. Au niveau 11, on passe d'une portée locale (une région, une ville) à une portée globale (une nation, un continent). De plus le personnage doit choisir une voie parangonique (un genre de classe de prestige) qui reflète comment le personnage vit ce changement de puissance. Au niveau 21, la portée devient carrément universelle (littéralement) puisque, à ce stade, ce sont tout l'univers et les différents plans d'existence qui rentrent en jeu. Le personnage choisit une destinée épique qui détermine ce qu'à terme (au niveau 30) le personnage va devenir : demi-dieu, archiliche, esprit primordial... Tous ces éléments orientent le jeu dans une direction super-héroïque : à haut niveau, on baigne en plein dans Marvel.

En terme de fluff, la magie est présente également à travers l'influence bien plus marquée qu'en 5e des plans "miroirs" du Monde Matériel : la Féérie et la Gisombre. Pour preuve, on peut jouer, dès le premier manuel des joueurs, des éladrins, originaires de Féérie. Les fées et les fomoires ne sont pas juste des éléments qui peuvent colorer une aventure ou deux : ils sont aussi présents que les traditionnels orques ou gobelins. Si on s'enfonce trop profondément dans une forêt, on peut atterrir en Féérie !

Enfin, les règles de magie sont très différentes des autres éditions : finies, les listes de sorts. On en reparlera plus loin, mais essentiellement, il y a des sorts de combats, réservés aux classes qui manipulent la magie, et les rituels, qui sont accessible à tout le monde (en choisissant le Don approprié). Ces derniers nécessitent une mise en place particulière, et permettent d'accomplir des choses bien connues comme compréhension des langues, disque flottant de Tenser, etc. Cette nouvelle dichotomie façonne réellement le monde du jeu : par exemple, un clerc ne gagne pas automatiquement rappel à la vie une fois au bon niveau. Il faut trouver une copie du rituel, l'apprendre, etc. Cela veut aussi dire que n'importe qui peut apprendre comment ramener un camarade tombé au combat. Pour les besoins d'une campagne, on peut donc parfaitement créer un rituel sur-mesure pour contrer le Grand Méchant; mais également, fini les lanceurs de sorts de haut niveau qui peuvent lancer souhait à tour de bras et changer le monde d'un claquement de doigt.

Créer le groupe

Même si c'est en train de changer, il y a toujours eu dans D&D des combinaisons classe/races plus adaptées que d'autre. Plutôt que de faire semblant que ce n'est pas le cas, D&D4 propose directement des suggestions de telles associations. C'est intéressant car cela permet d'aider les débutants à construire un personnage à peu près équilibré.

De façon similaire, il est connu qu'un groupe s'en sort mieux avec le triptyque soigneur / tape-fort / sac à PV. D&D4 formalise cela en associant à chaque classe un rôle dans le groupe (meneur, cogneur, protecteur et contrôleur), la façon dont ils se jouent, et comment leur absence peut impacter un groupe. Encore une fois, pour des joueurs débutants, c'est très guidé et super utile.

Là où la qualité et la cohésion du design s'expriment, c'est au niveau de la description des classes : elles sont toutes basées sur les mêmes mécaniques de base (on est pas obligé de réapprendre à jouer dès qu'on change de classe), et sont toutes fun à jouer et équilibrées pour le combat. Fini le guerrier qui n'a pour seule option "taper" et le magicien qui doit attendre des niveaux avancés pour devenir fun à jouer... en volant celui des autres classes qui le regardent tirer toute la couverture. En effet, chaque classe dispose de pouvoirs (utilisables uniquement en combat) variés, utilisables à volonté, une fois par rencontre ou une fois par jour. Cela donne de la variété aux affrontements, et une dimension tactique aux combats. Toutes les classes disposent d'autant de pouvoirs de chaque type, et personne n'est mis en retrait ou en avant.

Des combats intéressants

Outre les pouvoirs dont je viens de parler, il y a de nombreuses petites mécaniques qui aident à rendre les combats plus intéressants, tactiques, et fun à jouer.

Chaque combattant dispose, outre de la classique CA, de trois autres défenses : Réflexes, Volonté, Vigueur (qui sont devenues, en 5e, les jets de sauvegarde associés au caractéristiques). Chaque attaque va viser l'une ou l'autre défense et cela va créer des choix intéressants : cet ogre à l'air stupide, je vais plutôt lui jeter un sort qui vise la Volonté qu'un autre qui attaque la Vigueur.

Par ailleurs, les pouvoirs de soins sont souvent des attaques. On évite ainsi l'infernale situation suivante : "Je suis mal en point, je me soigne." / "Il t'attaque, et te blesse." / "Je suis de nouveau mal en point, je me soigne." / etc.

Une autre spécificité intéressante, est la notion de péril : une fois réduite à la moitié de ses PV, une créature (PJ ou monstre) peut débloquer de nouveaux pouvoirs, qui peuvent ainsi changer la dynamique du combat. Par exemple, un dragon en péril peut réutiliser son souffle plus souvent, un monstre change d'apparence, etc.

Créer les rencontres

Contrairement à la 3e et la 5e, où la création de rencontre tient de l'art, dans la 4e on est plutôt du domaine de la science. Les règles qui permettent de concevoir une rencontre et d'estimer sa difficulté sont nettes, précises, et fonctionnent. Si je veux créer une rencontre difficile pour un groupe de niveau X, je sais qu'en mettant le monstre Y et Z, ça marchera. On est loin de la notion de facteur de puissance, là les monstres ont des niveaux et c'est quand même plus simple. Comme les classes, les monstres ont des rôles de combat et on peut donc construire la rencontre de la même façon qu'on construit un groupe.

Par ailleurs, chaque monstre existe en différentes versions, de différents niveaux. C'est encore un peu le cas dans D&D5, où on peut trouver des déclinaisons d'un même monstre (disons, le guerrier / prêtre / chef gobelin), mais dans la 4e, c'est poussé à son paroxysme (7 profils de gobelins dans le Bestiaire Fantastique 1). Mine de rien, avoir autant de variété, ça permet de les mixer facilement dans une même rencontre et ça change vraiment le feeling de jeu.

Une superbe idée de la 4e est la notion de sbires. Ce sont des monstres comme les autres, sauf qu'ils ont un seul et unique PV. Au premier coup, pshuuitt. Ca permet de mettre en scène des affrontements où le groupe affronte des vagues innombrables d'ennemis, sans pour autant le rendre plus long.

Enfin, les règles de création de monstres sont parfaitement bien foutues, et sans ambiguïté. On peut créer un monstre équilibré en suivant les étapes, sans réfléchir ou presque. C'est pas aussi facile que pour Dungeon World, mais c'est vraiment pas beaucoup plus dur.

Défis de compétences & conseils de maîtrise

Les deux Guide du Maître sont excellents, et renferment de nombreux conseils de maîtrise. Notamment, ils prennent très bien en main l'apprentissage du rôle de MJ. Si la 4e sortait aujourd'hui, la scène Youtube des "conseils pour MJ de D&D" serait bien bien réduite, je serais prêt à le parier.

La dernière chose dont je voudrais parler sont les défis de compétences. C'est un outil qui est prévu pour gérer des tâches complexes (un voyage éprouvant, une course-poursuite) de façon assez intuitive : pour réussir, il faut obtenir X succès avant Y échecs. Chacun son tour justifie en roleplay l'usage de telle ou telle compétence, fait son jet, et c'est parti. On est pas très loin du concept des horloges dans, par exemple, Blades in the Dark. C'est vraiment dommage de pas avoir porté ce mécanisme dans D&D5 (la bonne nouvelle c'est que ça s'improvise sans règle supplémentaire).

Conclusion

Au terme de ce long billet / liste de courses des machins que j'ai apprécié dans D&D4, j'espère vous avoir transmis au moins une portion de mon enthousiasme envers ce jeu qui a façonné une grande partie de mes débuts dans le jeu de rôle. Et si, comme le titre l'affirme, la 4e était l'édition que les fans de D&D ne méritaient pas, mais qu'ils ont eu quand même; et bien ce billet était la défense dont la 4e n'avait pas besoin, mais qu'elle aura eu quand même.



1 Mon objectif assumé est de donner envie à mes lectrices de (re)jouer à D&D4. Notamment, mes joueuses habituelles, je sais que vous me lisez ;)

Commentaires

  1. Chouette billet. Et intéressant !

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  2. Très bon article .... j'ai totalement loupé DD4 car il est sorti au moment de mon relatif éloignement du milieu JDR, mais ayant été meneur à DD3 je comprends assez bien les choix indiqués.
    Je crois que le principal soucis de DD4 est qu'il a amené une rupture forte avec DD3 ... alors que DD3 était toujours très populaire. L'immense succès de Pathfinder comme "héritier direct" de DD3 est significatif.
    Etrangement ... c'est juste une impression ... je me demande si DD4 n'aurait pas été bien mieux perçu s'il était sorti plus tard.

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    1. Merci Dany !

      Je le pense aussi. Mais peut-être plus qu'être en avance sur son temps, la 4e manquait surtout d'une lettre d'intention claire. Quelque part les fans ce sont sentis trahis, mais ça aurait pu être désamorcé en annonçant pourquoi on changeait tel ou tel paramètre de jeu.

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  3. Merci pour ce billet, je decouvre dd4 tout recement grace à Podcast Anonyme, et je compte bien le maitriser (en commencant par la version Essential).

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