J'ai joué à... La Clé des Nuages

En plus d'être une personne formidable, kF a également le bon goût de faire d'excellents jeux; comme par exemple la Clé des Nuages, un jeu de rôle symboliste et poétique pour deux personnes, tout récemment paru aux éditions Dystopia.

Vous le saurez, désormais, en plus d'être un bon donjoneux des familles, je suis également friand des jeux moins conventionnels, sans MJ et/ou sans dés. Pour ceux que ça intéresse, j'avais même commis un article dans Casus Belli n°21 (celui de mars 2017) intitulé « Jeux narrativistes : un tour d'horizon ».

Dans la Clé des Nuages, on joue donc sans meneuse ni cubes avec des faces numérotées; deux joueuses dialoguent pour construire un récit poétique, chargé de symboles et de mystère. L'une incarne le Mage, un individu hors du commun qui poursuit une Quête secrète, et l'autre l'Image, qui a la charge de décrire les ruines explorées en les chargeant de symboles, les clés, dont le Mage seul comprend la portée - au regard de sa quête personnelle.

Avec la fort sympathique Lisa, nous avons joué deux parties qui se sont révélées très fructueuses. Elles ont dépassé mes attentes et m'ont laissé dans un état second d'émerveillement, qui ne se retrouve - pour moi - que dans ces formes si singulières de jeu, et trop rarement dans mes parties "conventionnelles".

Si le jeu est censé se jouer à l'oral, le silence jouant une part importante de l'ambiance, avec Lisa nous avons joué uniquement par texte, sans vocal. Nous nous sommes simplement mis d'accord sur une playlist commune, à écouter pour s'inspirer, et avons laissé travailler nos imaginations et claviers. Ce fut un mode de jeu très plaisant et j'aimerais vous retranscrire dans la suite notre partie.

Avant de laisser la place au récit, je vous donne ce lien vers des ressources pour le jeu et je vous invite vivement à investir dans le livre physique pour soutenir le jeu.

Regardez comme la couverture est jolie.

La Partie

Je retranscris ici le contenu de notre deuxième partie, où j'incarnais le Mage. La playlist que nous avons choisi d'écouter se trouve ici. Nous avons environ mis 1h pour jouer cette partie. Certains éléments de jargon propre au jeu vous paraitront obscurs (l'artefact, le talisman, les clés) mais ils ne gênent pas la compréhension de l'histoire. Après le jeu, nous avons fait un débriefing pour essayer de comprendre un peu mieux ce que nous avons vécu. Je ne le retranscris pas (mais c'était plein d'emojis et de GIF exprimant la joie) et vous laisse plutôt interpréter à votre manière ce que tout ça peut bien vouloir dire:

***

[Mage] Je suis un homme âgé, aux cheveux poivre et sel, le visage tiré par de nombreuses rides et cicatrices. Je porte des vêtements qui furent probablement à la mode il y a bien longtemps, mais qui sont aujourd'hui élimés, reprisés mille fois et couverts de poussière. L'artefact dont je tire mon pouvoir est un sac en cuir simple, rempli de graines de toutes sortes. Je porte également un bouclier arborant des armoiries dont les couleurs ont passées, et qui représentent un champ d'étoiles devant un lac; c'est mon talisman.

L'Image l'ignore à ce moment-là du jeu (elle ne l'apprendra qu'au débriefing), mais ma quête est la suivante: retrouver mon trône.

[Image] Comment était ton voyage jusqu'aux ruines ? Que t'attends tu à trouver ?

[M] J'ai traversé de nombreuses terres oubliées, des champs laissés en jachère, des bois sauvages et des pâtures sans troupeaux. Sans personne pour me donner le chemin, je me suis fié à mon corps et mes jambes ont retrouvé la route malgré moi. Je m'attends à trouver la demeure de mon enfance.

[I] Tu as traversé tant de paysages solitaires pour arriver jusqu'ici, c'est pour ça que tu es si surpris d'être accueilli sur ces terres par une nuées d'oiseaux, c'est la première clef, ils volettent dans tous les sens sans prêter attention à ta présence autour d'une chaumière délabrée. Ce qui est particulièrement étrange c'est que cette nuée d'oiseaux ne semble pas chanter, leurs ailes ne produisent aucun bruissement. En prêtant davantage attention, tu t'aperçois que même tes pas ne produisent aucun bruit. Tu es entouré par un silence assourdissant, comme si tu étais entré dans un cube anéchoïque sans t'en apercevoir. Le silence est la deuxième clef. En t'approchant, tu ne le distingue pas tout de suite mais sur le portail envahi de lierre est forgé une image d'un semeur qui lance au vent des graines sorties d'une sacoche semblable a la tienne, c'est la troisième clef. Le chemin pour arriver jusqu'à la chaumière est envahi de ronces.

[M] En passant le portail recouvert de végétation, je m'attends à trouver le domaine tel que je l'ai connu : ses arbres, ses fontaines, ses odeurs.

[I] Après avoir dépassé le portail, les oiseaux autour de toi semblent décrire une ronde, ils t'empêchent de passer. Ils sont tellement nombreux que tu ne parviens pas a distinguer le décors autour de toi, tu ne sais pas si ce sont les arbres et les fontaines de ton souvenir qui transparaissent derrière les battements frénétiques de leurs ailes où si c'est ton imagination qui aimerait les trouver là.

[M] Je sens que ces oiseaux ont des choses à me reprocher; peut-être est-ce pour cela qu'ils ne veulent pas me laisser passer. Si je les ai déjà déçus par le passé, ils n'ont pas de raison de me faire confiance. Je plonge la main dans mon sac et en tire une poignée de graines. Chacune d'entre elle donnera naissance à un verger entier, et je leur donne à chacun une graine, pour qu'ils puissent nourrir leur famille. Après ma distribution, ils s'en vont, satisfaits, me laissant reprendre ma route.

[I] Que t'attends-tu à trouver ?

[M] Je m'attends à ce que la chaumière abrite les descendants d'une famille que j'ai bien connue.

[I] Après la distribution de graine, les oiseaux s'envolent. Un couple de mésange continue cependant à voleter autour de toi et se dirige vers la chaumière. La porte est ouverte, en y regardant mieux, elle est même dégondée et ne repose sur le palier que par la volonté de la vigne vierge qui a envahi le mur. Si tu entres, tu trouveras une pièce de vie poussiéreuse mais en ordre, la table semble être mise pour quatre personnes qui n'habitent plus ici depuis longtemps. Sur le mur est accroché un tableau représentant l'envol d'un condor vers un horizon mystérieux et plein de promesses. Les deux mésanges ont déposé dans une assiette éclairée par un vigoureux rayon de soleil les deux graines que tu leur a donné.

[M] En entrant, je pose ma main sur le chambranle de la porte, puis un mur, et une chaise. Ce geste est doux, presque affectueux, comme si je retrouvais de vieux amis. Comprenant que les mésanges m'invitent à dîner, je pose sur une assiette vide une nouvelle graine tirée de mon sac, avant de tirer la chaise en face et m'y asseoir. Je dépose mon bouclier contre le dossier, et prends de mon sac une bille sucrée que je mâchonne. Mon corps se couvre de plumages et se transforme pour laisser la place à un condor. Nous allons pouvoir dîner.

[I] Que t'attends-tu à trouver ainsi attablé ?

[M] Je m'attends à trouver le pardon des mésanges.

[I] Maintenant que tu es devenu le condor qu'il manquait à la nuée hétérogène, d'autres oiseaux ont commencé à rejoindre le festin, deux autres, un moineau et une hirondelle se sont attablé avec les mésanges et toi, les autres se sont installés sur les meubles, les poutres apparentes et la rampe des escaliers. Tu vois leurs becs  s'agiter, pourtant tu ne les entends pas, le silence de la pièce est à la fois pesant et reposant. En les observant tu comprend qu'ils passent un bon moment mais une barrière aphone invisible te prive de la célébration.

[M] J'ai été trop loin de mon peuple, trop longtemps. J'ai perdu l'art et la manière de leur parler et c'est pour cela qu'ils me restent muets. Ce don reviendra peut-être, mais si je ne peux pas leur parler, au moins je peux leur montrer. Je prends mon envol par la fenêtre en les invitant à me suivre.

[I] Que t'attends-tu à trouver ?

[M] Un lieu que je pensais perdu, sur le lac qui jouxte le domaine.

[I] En prenant ton envol, tu retrouves le plaisir et l'énergie qui t'avais quitté, tes plumes qui tenaient alors davantage des haillons que tu portais semblent prendre un nouvel éclat. Tu suis l'horizon de lumière déclinante au travers des cimes des arbres qui entouraient la chaumière, suivi par la nuée d'oiseaux qui décrit une farandole colorée. S'il y a un murmure sur la terre tu en parviens pas à l'entendre, en revanche tu ressens l'appel du clapotis de l'eau droit devant; sous la carapace des branchages le filet de la source du lac se dessine devant toi à mesure que le soleil plonge à l'intérieur.

[M] Je plonge en piqué dans la source du lac, retenant ma respiration, jusqu'à toucher le fond de l'eau. Là, je retrouve un objet métallique que j'avais abandonné il y a bien longtemps : une couronne. Je m'en saisis et remonte à la surface. Lorsque je sors de l'eau, tout les oiseaux se sont assis en cercle et se sont tus, m'observant attentivement. Je me ceins de la couronne qui s'évanouit alors que mon plumage devient d'or et d'argent.

[M] Tandis que l'assemblée des oiseaux me reconnait de nouveau comme souverain, la nuit tombée laisse émerger un millier d'étoiles qui brillent sur la surface du lac.

Fin.

Commentaires

  1. Wahou, c'est en effet très doux et très chouette ce qui se dégage du rendu, apaisant même. Ceci étant la symbolique du récit permet également de s'identifier facilement et de le relier à son histoire personnelle ce qui en fait également quelque chose de fort et intense. Merci pour ce joli partage :)

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